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Le blog de Léo Dumas

Errances, partie de F.

Publié dans #Errances

F comme Festoche à Chalon, 23 Juillet 2010. Il flotte. L'énergie éparpillée des festivaliers humides peine à trouver son point d'ancrage parmi les artistes que le ciel décourage, moi le premier; en cette ère post-Aillagon ou leur profession sinistrée cherche laborieusement une porte de sortie qui ne soit pas scellée par le marbre, ce genre d'avatar météorologique pèse lourd sur le moral des intermittents et de leurs petits frères saltimbanques. Les rues piétonnes de la ville sont vides de joie et de musique.

Pour un premier rendez-vous annuel de Seul contre Tous avec la rue, ça tombe plutôt mal; en revanche, c'est l'occasion de constater les progrès surprenants du quasi-trentenaire qui effectuait il n'y a pas si longtemps des premiers pas patauds dans le camping gratos le plus célèbre de Bourgogne, avec un manque consternant de savoir-faire logistique: la chenille pseudo-étudiante au foie délicat venue réchauffer au vent de l'envie sa libido déjà dévorante, y en a qui aiment bien se faire mal, est devenue presque crédible en vieux loup de mer festivalier ("you looked like Paul Watson younger", m'a complimenté une jeune artiste du remarquable Cirko Paniko, qui n'a pas dû tout capter à mon spectacle à part le fait que j'y mène les gens en bateau; ça fait plaisir tout de même).

Vieille comme la faim, rapiécée comme un filet de pêche Grec après le passage du FMI, moche comme les rêves d'un architecte à Dubaï, ma bonne grosse tente Lafuma (oui, je reste fidèle à mes sponsors) ne fait pourtant plus rigoler personne depuis qu'elle a supporté en sifflotant le dernier orage, tandis que les Quechua flambantes neuves manifestaient un désir morbide de tout plaquer pour aller se jeter dans la Saône ; les réfugiés climatiques de trois heures du mat' furent d'autant moins bégueules quand du rhum et du kawa chaud vint leur tenir compagnie dans mon petit lopin d'asile, ainsi que les inestimables ponchos-poubelles qui permirent à ceux qui n'y risquaient pas la noyade de rejoindre leur propre base sans complications pulmonaires. Tout cela parait le plus naturel du monde, de simples et évidents outils de convivialité dans un lieu qui lui est dédiée, jusqu'au moment ou tu remarques l'admiration naïve des jeunots installés à l'arrache, laquelle te flatte autant qu'elle te fait marrer : s'ils t'avaient vu à leur âge...


Le décor est posé, voyons l'intrigue. F comme Femmes, bien sur. Quand des festivaliers mâles rencontrent leurs homologues femelles la nuit dans une tente, de quoi parlent-ils? En général, de tout sauf de cul. Les conventions sociales obsolètes se liguent avec le souci mal assumé du regard des autres afin d'imposer aux préoccupations sexuelles une bien navrante trilogie : d'abord on y pense, ensuite on pratique (on essaye, toujours bien), et enfin seulement, parfois, on commence à en causer. C'était compter sans votre serviteur et son violon d'Ingres, piétiner les plats réchauffés des conversations prévisibles histoire d'en relever le gout, et tant mieux si ça picote.

Discussion lancée, donc, et vite avortée hélas, avec F. comme cette minette de dix-huit ans, beauté mal dégrossie typique de ces post-adolescentes timorées pour qui "adulte" est encore une espèce à part, et "majeur" un costard trop grand pour elles. Discussion, parce que ses propos me choquent bigrement pour une minette née après la loi Calmat ; vite avortée (avortée, loi Calmat, ha ha, c'est malin, bref, reprenons) vite avortée, disais-je, faute d'arguments de la donzelle pour justifier sa petite vérité personnelle : la quête exclusive de ce putain de saloperie de prince charmant à la con, que quatre épisodes de Shrek n'ont pas poussé d'un poil vers la sortie de nos imaginaires, comme quoi le cinéma est loin d'avoir l'influence qu'on lui prête.

Putain. F comme Furax. Mes frères en zététique ont beau tenter d'y faire la circulation, le boulevard des poncifs est toujours aussi encombré aux heures de pointe. "J'attends le mec qui sera le bon"... le coup de l'âme sœur, encore, tellement implanté en nous que même ceux qui n'y croient pas la recherchent inconsciemment. Platon, et son génie incroyable pour nous enfermer dans un système sans avoir l'air d'y toucher, nous aura fait avaler de pleins vivariums de couleuvres, mais celle-là est plutôt du genre boa constricteur ; les civilisations monothéistes n'ont pas fini d'en étouffer.

Te rends-tu compte, sombre merde de philosophe pontifiant, loué soit Nietzsche d'avoir fait de toi un ennemi personnel, du nombre de jeunes gens que tes conneries récupérées par la machine Chrétienne ont conduit au malheur, ou pire, à l'intolérable "non-heur" d'un ennui profond et sordide si bien chanté par Brel : celui de qui décide de conjuguer son existence à la voie passive... à la voie conjugale, précisément?

Non, F., sans déconner, non. Sans doute suis-je pour toi un vieux con dogmatique prêchant pour sa paroisse libidino-libertaire par souci de bonne conscience ; peut-être le suis-je vraiment, en partie du moins. Mais je ne peux pas te laisser conclure ce débat d'un tel enjeu par ce laconique "on est libres de nos choix" ; te laisser croire en ta propre liberté serait me foutre de ta gueule, en l'occurrence.

Non, F, on n'est pas libres de choisir dans un domaine ou l'on ne connait rien. On n'est pas libres de renier son corps pour un caprice de l'âme. On ne peut pas décréter qu'une solution est la bonne, si l'on ne connait pas l'erreur ; une fraiche titulaire de la mention très bien au bac S devrait le savoir plus que tout autre. Triste école que celle qui décerne ses lauriers scientifiques à qui ignore la valeur d'une erreur... heureusement pour nous que Fleming a déjà découvert la pénicilline.

Bref, autre débat. Quoi que...


Tu ne sais rien. Tu n'entraves tellement que dalle à tout ça que tu t'imagines avoir un avis sur la question ; un avis! Et sur quelles bases, s'il te plait ? D'après quelles références, quelles discussions, quel vécu ? Étrange scientifique, qui construit un postulat sur le refus d'expérimenter...

Posons-le, tiens, ton postulat. Partons des données tangibles. Soit F la première inconnue de l'équation ; que savons-nous d'elle? Qu'elle tend vers x=∞, x étant la valeur qualitative de sa vie amoureuse. Dans un schéma de vie idéale avec le temps pour abscisse, F de x dessine une courbe exponentielle ascendante à partir de l'instant t de sa rencontre avec le prince charmant ; et avant cela? Wallou. F(x)=0, jusqu'à nouvel ordre.

Délire mathématique totalement hors de propos? Exact. Et c'est bien ça le problème: F y croit. C'est débile, ça n'a aucun sens, aucun rapport avec la vraie vie, et c'est comme ça que des millions de jeunes filles voient leur avenir.

Qu'en conclure? Premièrement, que... F(x)=0. A dix-huit ans, âge qui correspond selon les spécialistes à l'apogée hormonale des femmes, c'est déprimant comme un mirador en Pologne de penser que l'on puisse infliger ça à son métabolisme. Parait que les jeunes de maintenant sont moins bien élevés qu'il y a vingt ans ; je n'en suis pas si sur, en tout cas ils sont bien dressés.

Mais dressés par quoi, en cette époque ou le sexe s'affiche partout, sur les plages, sur le web qu'il rentabilise presque à lui tout seul, en devanture même (surtout ?) chez les kiosquiers les plus réactionnaires, les mêmes qui refusaient de vendre Charlie il n'y a pas si longtemps?

Notre seconde et douloureuse évidence découle de cela : exhiber n'est pas approuver, et le sexe reste encore un putain de tabou, l'expression "putain" m'en soit témoin. Un tabou, je le rappelle, c'est ce dont on ne parle pas, ce que l'on enseigne pas, ce qui n'est connu que par les présupposés tacites du corpus social ; derrière les couvertures de magazines les plus racoleuses, l'adjectif puissamment chrétien de "sulfureux" enflamme les esprits et rend notre regard confusément coupable. Même les blagues de cul vont dans ce sens, rire de clichés séculaires sur le clitoris des blondes restant un autre moyen d'éviter d'entrer, si j'ose dire, dans le vif du sujet.

On se croit libérés, on est perçus par le monde entier comme la Babylone aux mœurs légères, et au fond on en est encore à croire que baiser est un acte avilissant. On voit encore des jeunes filles, parfois même de jeunes hommes, passer à côté du meilleur de leur épanouissement physique au nom de clichés du genre "je veux rester vierge, c'est le cadeau que je veux faire à l'homme que j'aime"... voila un cadeau dont les hommes qui connaissent la question se passeront volontiers. Est-ce assez dire combien le refus du sexe est resté un acte sacré, en ces temps ou deux siècles de laïcisation débouchent sur un échec cuisant ? Cette logique liant la notion de couple à celle de l'appropriation exclusive par un homme du sexe de la femme n'est-elle pas le rituel de domination le plus sournois jamais inventé par notre espèce, pourtant ingénieuse en la matière ?

Telle est la vision du corps de notre civilisation. Trois heures de sport obligatoire par semaine pendant dix ans, et pas d'éducation sexuelle, ou si peu ; juste des préjugés absurdes qu'on laisse trainer par terre, de peur d'avoir l'air de s'y intéresser. Pas grave, laissons cela aux mags de cul, qui enseignent aux ados qu'une fille qui ne se prend pas des bites par paquet de douze est une sainte-nitouche ; laissons les vidéos X leur apprendre qu'un-homme-un-vrai doit bander suffisamment fort et longtemps pour exploser un mur en parpaings sans les mains, laissons les bigots et leurs âmes de coffres-forts suisses raconter qu'il ne doit exister que des vierges ou des mères de famille…

Et puis, laissons les magazines féminins expliquer que troncher, c'est bestial et mécanique, que faire l'amour est un acte magique ou les séraphins viennent jouer du Coltrane aux élus de l'Amour, et qu'il n'existe rien entre les deux. La différence serait donc en gros la même qu'entre la table d'un grand restaurant et un paquet de chips ; c'est oublier un peu vite qu'à moins d'avoir recours à la prostitution bas de gamme, le degré de plaisir dépend uniquement de notre capacité à savoir se faire à bouffer... et qui plus est, en binôme.

Ceux d'entre vous qui, comme moi, furent des amants pitoyables avant de tomber sur des partenaires aussi patientes que compétentes qui leur permirent de laisser s'épanouir... leur confiance en eux, ceux-là savent bien l'importance du savoir-faire dans la pratique du plus chouette jeu au monde. D'autres ont pris, si j'ose dire, le coup de main d'instinct, tant mieux pour eux. Mais combien ont loupé un épisode ? Combien de mecs n'ont pas compris qu'il y avait un truc à comprendre ? Combien de femmes s'emmerdent quatre-vingt quinze fois sur cent ? Combien cette société produit-elle de remakes de Miou-Miou dans "les valseuses" ? La prostitution florissante et les analyses effroyablement convaincantes de Houellebecq sur l'état de nos désirs n'engagent guère aux réponses optimistes. Et la réponse, d'après toi, F., c'est de ne rien apprendre de l'amour physique en attendant un miracle, au nom d'une fidélité anticipée? Ben merde, alors…



Cercié-en-Beaujolais, 19 septembre 2005

Une heure du mat'. Elle aurait eu quatorze ans aujourd'hui.

J'écris comme on se bourre la gueule, pour que ça passe. Six mois que cette conne de petite fille aux yeux vieux comme la peur a trouvé la force abjecte d'en finir avec une vie que son esprit malade ne supportait plus. J'étais son responsable. Bosser avec des ados n'aura plus jamais le même gout.

Une ignoble envie de rire me prend aux tripes. Je crache, pisse, chie et vomit une overdose de sentiments, volupté, angoisse, ivresse, peur et désir, dans un rire inextinguible, sauvage, treize jours de rires en un seul ; ça fait du bien. J'ai les doigts en charpie et l'esprit exsangue. La fin des vendanges, c'est comme arrêter les joints : tout remonte d'un coup. Et ces vendanges-la sont un putain de modèle du genre.

C'était fou, cette année, c'était un stage de formation pour psychopathe professionnel, une tragédie grecque la tète dans l'cep, Shakespeare invité à bouffer chez Dionysos ; le bordel, quoi. Le genre de situations ou tu comprends pourquoi Jung décrivait Eros et Thanatos comme de vieux copains.

A présent tout remonte, et va savoir pourquoi le visage de cette môme paumée à jamais est en filigrane de mes ténèbres ; dire qu'arrêter de trainer avec de foutus gobeurs d'ecstasy me paraissait le bon plan assuré pour arrêter de voir des trucs glauques, j'étais bien naïf. Il y a plus douloureux dans la vie que de trainer avec ceux qui n'en ont pas.

Prendre la vie en pleine gueule et ne pas savoir qu'en faire, par exemple.

Marjo m'a retourné le cerveau ? Hah ! Elle en a fait de l'origami, s'est exercé dessus au lancer de couteaux puis y a flanqué le feu, ouais. J'ai vécu deux semaines en fonction du moindre regard qu'elle m'adressait, de la plus bénigne réflexion, du plus petit mouvement d'humeur. Qu'on se le dise, l'amour est un rouleau compresseur, et la liberté individuelle un joli conte pour enfants. Même (surtout ?) niveau cul, j'ai pris une sacré claque, alors que finalement ça m'importait assez peu.

Ça m'importait assez peu… comprenons-nous : je veux dire que la séduction m'importait infiniment plus que le cul. Le mélange des deux ne fut jamais aussi détonnant qu'avec elle, ça ouvre les yeux sur certaines réalités. Notamment une, sur laquelle il fallait bien que je me penche un de ces quatre : je baise fort mal.

Putain, ça fait des années que je le sais et c'est la première fois que je l'écris, comme ça, au sortir d'un de ces cauchemars obsédant dont tu émerges le cœur asynchrone et vidé de toute ta sueur ; incroyable. J'ai une capacité à me cacher les choses qui m'effraie réellement.

Il aura fallu Marjo… il aura fallu que cette nana dont la chair m'a rendu dingue me balance en pleine gueule sa déception de me voir infoutu de lui donner le plaisir qu'elle attendait pour que je prenne conscience de la gravité de ce constat : je pourrais mourir sans avoir connu une vie sexuelle satisfaisante.

Voila, c'est dit. Comment raconter autre chose, après ça, qui puisse présenter un intérêt quelconque ? J'arrête pour ce soir. Rester les yeux ouverts avec un fantôme et une bonne dose d'humiliation est un mal sans remède. Seul le temps y posera son baume.

Le temps, ou répondre à l'appel de cette fillette morte qui me dit qu'elle va mieux, à présent. Qu'elle a bien fait de lâcher prise, que tout cela n'en valait vraiment pas la peine. Pourvu qu'elle ait tort...



Chalon, 24 Juillet 2010


Elle avait tort.

La femme de ma vie… merde, c'est vrai, j'y avais cru, à cette connerie. Comme tout le monde, quoi : quand je n'y connaissais rien. Mais jamais je n'avais imaginé avoir besoin d'une femme de ma vie pour que ma vie commence. L'idée de rester connement à attendre sans rien foutre que me vienne la révélation, attitude déjà par trop religieuse à mon gout, tandis que ladite révélation est en train de découvrir les plaisirs à elle offerts, de s'épanouir, d'oser, selon la formule d'André Gide, devenir ce qu'elle est, afin de me parvenir plus tard dans la plénitude de son vécu, alors que de mon coté je n'aurai rien connu, rien su, rien ressenti… cette idée est triste à en chialer. L'adopter est une insulte à la beauté des rapports humains, à leur subtilité, leur complexité ; quiconque vit en aimant d'avance une amour future se doit de ne pas lui arriver comme une "moitié", de se doter d'un bagage à partager avec elle. Un être entier peut aimer un truc pas cuit, pas fini, comme on aime un enfant ; pas comme un égal.

Ça, je crois que je l'ai toujours su. Je suis parti de pas grand-chose, un esprit sans grand appétit social dans un corps malingre et pas tactile pour deux sous ; mais tout s'apprend, quand on en chie assez fort pour vouloir changer. Voir le chemin parcouru est une satisfaction profonde, bien au-delà du plaisir. Elle réconcilie avec le combat ordinaire, avec le temps qui passe, avec soi.

Il est sept heures du soir dans la bonne ville de Chalon, et la fraicheur vespérale ne gâte en rien la bonne nouvelle : les nuages se cassent, l'orage est passé, la ville nous appartient enfin. Cette nuit, la prog' de l'Abattoir, dont les balances se terminent à portée d'oreilles, s'annonce des plus rock'n'roll ; de quoi rattraper le temps perdu à essorer nos fringues.

J'en serai. F. également. Les quelques pages que je viens de noircir vont s'illustrer de manière on ne peut plus concrète : entre l'exégète de la chaleureuse connerie festivalière et la prude fillette bien décidée à ne pas grandir, gageons que je passerai, sinon la meilleure nuit, du moins la plus intéressante.

La jeune pendue a quitté mes cauchemars depuis une paire d'années, quand j'ai acquis la certitude de son erreur ; F. est son antithèse. Et se plante tout autant, moins définitivement j'espère. L'explication, finalement, tiens en quatre mots : la vie gagne toujours. Avec nous, ou sans, ça c'est à nous de choisir.


Epilogue


Neuf heures du mat', le lendemain. J'ai rencontré une idole, une nouvelle meilleure amie, et un amour platonique d'un soir, pas forcément dans cet ordre. Le premier est Alex, de la compagnie Carnage Productions, l'un des mecs qui m'a donné envie de faire de la rue ; la troisième a des yeux couleur rock'n'roll et m'a fait rêver des aventures aussi stupidement romanesques que bassement charnelles, le tout en une heure et demi des excellent Cowboys from Outerspace, tout ça pour l'amour du rêve. C'était inutile et beau.

Quant à la seconde, charitablement partie pieuter son pote pendant que j'écris ces lignes en attendant le café, elle est ce que j'apprécie le plus chez les gens : une énigme. Fidéliste et dithyrambe de Socrate (tiens donc...), partisane entêtée de l'idée d' "énergie" dont mes fidèles lecteurs savent combien elle m'agace quand elle quitte son rôle de valeur scientifique pour servir de cheval de Troie aux idées new-age, Pascaline est pourtant capable de mener une discussion de haut vol après une nuit blanche, cinq pétards et dix verres de rhum, talent rare dont les possesseurs devraient faire étalage par un signe distinctif histoire qu'on arrive plus facilement à se retrouver en after.

F., pendant ce temps, a regardé les gens vivre. Je ne crois pas qu'elle se soit ennuyée, pas consciemment du moins. Elle a tenu la jambe à ses potes, sereinement, au milieu du maelström des rues Chalonnaises saturées en excès de vie ; elle a vu les gens flâner, échanger, s'émouvoir, forniquer d'avance à travers les codes de la drague ; puis elle a terminé un peu pompette, rentrant sagement avec son groupe, le réveil prêt à la lancer demain dans une journée pareille à celle-ci.

Je crois qu'elle passe un bon moment. Je devrais m'en réjouir, mais j'ai mal pour elle. Car c'est cela qui lui manque, à F; avoir mal, souffrir pour mieux ressentir ensuite le bonheur de la libération. Quiconque ignore qu'il est en cage ne tape pas aux barreaux. Et finit comme ces vieux chats d'appartement obèses, épais volumes de néant existant sans vie par peur de la nausée.

Entre la mort provoquée et la non-vie programmée, que de points communs… la marge de manœuvre est foutrement étroite, pour nous autres vivants qui comptons bien le rester le plus possible. On se retrouve vite en sortie de piste, ou au contraire englués, sclérosés, foutus. Certains naissent comme ça. Peu meurent autrement.

Pour l'heure, je ne me plains pas. Le voyage a repris sa vitesse de croisière. Ça bosse, ça en chie, ça joie, ça déprime, ça projette, ça rêve. Ça se construit, à mon rythme lentement chaotique.

La vie gagne toujours. Quand ce ne sera plus le cas de la mienne, le reste n'importera plus. Alors, vivons, tant que la vie tient encore à un fil ou deux.

Prochaines étapes, Bressieux puis Sarlat. Faut que j'y aille. Salut à toi, F. ; puisses-tu rencontrer l'errance.

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