Overblog
Editer la page Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog de Léo Dumas

Brèves de cirque II

Publié dans #Brêves de Cirque

"SLAM est un acronyme Anglais signifiant "Soundless Lazy Artistic Missing", soit en Français "tentative artistique non vocale". On a cherché à créer un style d'expression épuré, à aller plus loin que le rap qui avait déjà supprimé le chant; nous, avec le slam, on a supprimé la musique, le talent, le jeu de scène... et maintenant, avec quelques artistes d'avant-garde, on veut aller encore plus loin en supprimant les paroles. Pour l'instant, ça donne ça:

 

...

 

...

 

 

 

...

 

 

 

...mais bon, on se rend bien compte que le public n'est pas prêt"

 

("Grand Porc Lubrique", premier spectacle de Seul contre Tous à Lille, 15 janvier 2011)

 

 

 

 

16 janvier 2011, Lambersart

 

 

Quand on replonge dans le foutrement humain après une longue (bien trop longue...) période en mode Tour d'ivoire, ce n'est pas en empruntant le tapis rouge. C'est par l'entrée de service, par essais et erreurs; par Errances, car on ne se refait pas.

 

Première bagarre depuis des années ce soir; ça couvait depuis un moment, c'est libéré. D'un point de vue militaire, j'ai gagné; d'un point de vue moral, j'ai pas honte. La jeune fille en détresse s'en est bien tirée, objectif atteint (même si je rentre chez moi tout seul, c'est bien la peine).

 

Se bastonner, c'est pas cool. Cette baston-la... ben, c'était important.

 

Y a pas que des étapes zen quand on court après ce qu'on est. Parfois, les symptômes de départ à vau-l'eau sont simplement des symptômes de départ.

 

Ce qui m'inquiète un peu, c'est que j'en veux encore.

 

 

Petit, j'étais un prototype expérimental d'enfant non-violent assez réussi. Entendez par la que tout ce qui ne me faisait pas chier n'entrainait chez moi aucune réaction émotionnelle sauf si c'était écrit dans un bouquin, et que la liste de ce qui me faisait chier était plutôt courte. Comme beaucoup d'enfants scolairement formatés, j'avais bien trop à faire avec la logique étrange de l'éducation nationale, moi qui m'éduquais assez bien tout seul dans mon coin, pour m'intéresser à des futilités comme les jeux de pouvoir de la cour de récré, avoir l'air cool, ce genre de conneries. Je voulais faire plaisir à la maitresse pour ne pas qu'elle m'emmerde; c'est à peu près tout ce que j'ai retenu de ma formation primaire, expression ô combien fascinante.

 

J'étais profondément asociable, et je l'ignorais. Mon entourage adulte -enfin, la proportion de mon entourage adulte qui n'avait pas d'œillères idéologiques à la place de la jugeote-  commença à s'en douter à la faveur de menues péripéties telles que le défoncage de gueule de la grosse brute de service de l'école, ou la mise en fuite de trois petits crétins par un môme furibard armé d'un marteau de charpentier -il m'arrive encore de rigoler tout seul en repensant aux tronches de ces sales cons qui prétendaient me manipuler.

 

A douze ans, je connaissais par cœur Goscinny, Melville, Greg, Hemingway, les Dumas dont je tire mon nom de scène, Franquin, Orwell et les petits noms de presque tous les dinosaures du Bajocien à la fin du Crétacé. J'avais grosso modo la capacité de gestion émotionnelle d'un gamin de cinq berges. J'avais un an d'avance, un titre départemental d'orthographe à remettre en jeu, et j'aimais bien citer les pages roses du Larousse quand je parlais à des gens que je savais moins intelligents que moi -c'est à dire, en Haute-Loire, à peu près tout le monde.

 

Un profil dangereux, quand on rentre dans la période critique du collège.

 

 La violence s'est entortillée en moi comme une cheminée de lave dans un cratère de basalte; elle me répugnait, mais habitait mes rêves, ceux qui me permettaient de tenir le coup dans la fosse d'aisance morale qu'est la vie en collectivité dans une putain de saloperie de collège. Casser la gueule aux connards, comme Batman dans la série, me paraissait un idéal de vie tout à fait louable; j'ignorais à l'époque que mon corps de crevette anémiée cachait de réelles capacités athlétiques, et c'était pas plus mal. L'usage que j'en aurais fait m'aurait perdu.

 

Alors j'ai gardé ça en moi, bien des années; un peu comme mes envies érotiques dont l'épanouissement, encore aujourd'hui, est loin d'être complet. Parfois -rarement-, l'adrénaline me faisait une offre que je ne pouvais pas refuser; la baston étant plus facile à trouver que le sexe quand on est pas prêt à payer pour, je ne refusais d'ailleurs pas. 

 

Grosso modo, à part dans le domaine politique ou les convictions non-violentes de la société civile me paraissent bien mal placées face à la cruelle évidence de la violence d'état, je suis contre l'emploi de la force. Mais que sont les convictions face à la biologie, sans parler du besoin de ne pas se sentir une vieille loque occidentale bêlante face à un monde de conflits et de testostérone?

 

Bref. J'ai tapé sur des types, c'était eux ou moi, ils ont cru à tort qu'ils étaient les plus méchants, j'ai cru à raison que j'étais le moins bourré. Pas de quoi fouetter un videur.

 

N'empêche... depuis que je vis ici, j'ai été confronté aux crétins de la rue, à la police, à la bêtise crasse de certains clients du cirque, à des fils à la patte résiduels de périodes de ma vie si proches et pourtant déjà en voie d'oubli; ma réaction, chaque fois, à été la même: allez vous faire foutre. C'est peut-être bon pour mon ego de vieux punk avant l'âge, mais ce n'est pas ce dont je rêvais pour le début d'une période de constructivisme.

 

Serais-je donc désespérément chaotique?

 

 

 

Bailleul, 20 janvier 2011

 

 

École en lutte. Je ne verrai pas Anne de la matinée, mon instit préférée du moment est occupée avec des journalistes. En principe, faute d'un accompagnateur avec moi, je devrais signaler au bureau qu'ils doivent saler la facture de la séance; et puis quoi, encore. Je salue le directeur tout en signant la pétition contre les fermetures de classe* , puis lance la séance d'équilibre avec mes chouchoux de la CLAD, sans leur star médiatique d'enseignante.

 

Neuf loulous au contexte assez merdique pour les mettre au ban d'une éducation classique, mais dont les capacités leur autorise une seconde chance. Neuf gamins à cheval entre la CLIS et le cursus normal, soit qu'ils ont besoin de temps, soit qu'ils ont besoin d'attention. Neuf parcours pas marrants en pleine séance de rattrapage.

 

en bref, neuf humains intéressants.

 

Mes apprentis fildeféristes donnent tout ce qu'ils ont tandis que je tente désespérément de me souvenir ou j'ai foutu ces putains de clés de serrage; le câble de fer mal tendu leur joue des tours chaque fois qu'ils prennent confiance en leurs mouvements, chaque fois qu'ils sont sur le point de progresser. Allégorie, quand tu nous tiens.

 

Je finis par bricoler un tendeur, tout en empêchant Jonathan le beau gosse hyperactif de taper sur Myrta la réfugiée Haïtienne; la suite se passe comme dans un rêve, avec ces gamins balourds et déjà écorchés vifs devenant demi-dieux juvéniles marchant sur un centimètre d'acier. Je tuerais sur place la première ordure qui les traiterait d'inadaptés.

 

Anne en a fait des warriors, des gosses qui savent que leur vie sera une baston, et qui comptent bien rendre les coups; ils ont la gniaque, ils sont beaux et fragiles comme des bébés loups. Alors que Mérédith la gosse battue réussit sa première traversée en marche arrière sans assistance, je me sens fier comme Botticelli mettant le dernier coup de pinceau à son coquillage. Putain, c'est ça la vie. J'avais oublié.

 

 

L'énergie. Quel concept à la con, et quel fondement indispensable. La théorie d'Empédocle la comparant au Feu était bien digne de l'acuité intellectuelle des chercheurs en réalité de son époque; ça purifie, ça détruit, on sait pas vraiment ce que c'est, et c'est fascinant.

 

Ce qui me sert un samedi soir à écraser le pif d'un jaloux trop arrosé me donne la vivacité de Mac-Gyver et la patience d'une gargouille quand il s'agit de donner une chance à des perdus d'avance qui comptent bien ne pas mériter ce titre. Et tout ça avec la conscience irrévocable d'être moi, avec mes billes, mes doutes, ma sagesse et ma connerie. L'humain est décidément une créature trop fascinante pour qu'on s'en lasse.

 

Et sa capacité à changer est sans limite.

 

Mais on en parlera une autre fois.

 

Bonsoir.

 

 

 

 

 

*Lesdites fermetures m'ont amené à une rapide recherche google. Le premier résultat de recherche en dit long sur le contexte local: http://www.nationspresse.info/?p=121731

Partager cette page
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :