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Le blog de Léo Dumas

QEOR, partie 3 : l’Empire change de nom

18 Avril 2024 , Rédigé par Léo Dumas

 

 

Sauf des mouchards et des gendarmes, on ne voit plus par les chemins
Que des vieillards tristes en larmes,
des veuves et des orphelins

Paris suinte la misère, les heureux mêmes sont tremblants
La mode est aux conseils de guerre, et les pavés sont tout sanglants

 

La gauche ferait bien de se méfier des récits.

 

La crainte du soulèvement révolutionnaire est souvent plus forte que les révolutions elles-mêmes. Le non-agir qui gronde, ça fait travailler l’imaginaire bourgeois. Et ça marche bien. Mais c’est à double tranchant.

Un jour ou l’autre, quelqu’un au pouvoir nous foutra sur la gueule une fois de trop par crainte d’une révolte même pas en projet.

En naîtra une révolte. Mais pour les morts, elle viendra trop tard.

 

On traque, on enchaîne, on fusille tous ceux qu'on ramasse au hasard
La mère à côté de sa fille, l'enfant dans les bras du vieillard

Les châtiments du drapeau rouge sont remplacés par la terreur
De tous les chenapans de bouges, valets de rois et d'empereurs

 

Il est d’autres raisons de se méfier des fictions. L’histoire des luttes sociales nous a rendu… romanesques. C’est un bon moteur pour entrer en militantisme, et c’est un problème ; le romanesque est une croyance, quand l’action militante doit justement questionner les ombres de la caverne, s’extirper des sédiments de fausses vérités déposées sur nous au fil des millénaires d’exploitation, pour se préoccuper exclusivement de ce qui compte : l’état de nos vies, et comment faire mieux.

 

Le peuple au collier de misère sera-t-il donc toujours rivé?
Jusques à quand les gens de guerre tiendront-ils le haut du pavé?

Jusques à quand la Sainte Clique nous croira-t-elle un vil bétail?
À quand enfin la République de la justice et du travail?

 

Aujourd’hui, les révoltés d’hier, on aime les trouver cools ; tout comme eux à l’époque, ça ne mange pas de pain. Mais au final, à part des images d’Épinal pour notre camp, qu’est-ce qui est réellement né de la Commune de Paris ?

 

Les boulevards haussmanniens, principalement. La Commune ne fut pas même une défaite. Plutôt un baroud d’honneur...

 

« L’Empire, c’est la paix » (Junior, chef de guerre)

 

En Juillet 1870, tout frais perdant de ses guerres mexicaines, notre Junior* va chercher des noises à Bismarck, chef de guerre également, sauf que lui est très doué. C’est une nouvelle raclée, à domicile cette fois, qu’à part lui tout le monde avait vue venir, mais pas à ce point.


Junior capturé à Sedan, les députés républicains prennent le pouvoir ; c’est la révolution du 4 septembre, la troisième en quarante ans, autant dire qu’en concours de zbeul nos aïeux nous mettent un beau Fanny.

 

Ça, c’est la version gravée dans le marbre.

 

*pour celleux qui prennent la série en route, Junior est le petit nom qu’on attribue ici à Charles Louis Napoléon Bonaparte, notre dernier Empereur officiel, dit aussi monsieur III.

 

Paris et le désert français

 

Pour préparer cet épisode, j’ai ressorti les Que sais-je de leur nid à poussière, re-relu le formidable Cri du peuple de Tardi et Vautrin, tapé trop de nuits blanches devant des youtubeurs chauves avant l’âge ; c’était passionnant, et je ne suis guère plus avancé.

OK, le peuple de Paris s’est révolté contre ses maîtres, puis s’est fait rouler dessus, autant dire que ça résume le XIXème siècle.

Et la France dans tout ça ?

 

Ben, déjà, la France est agricole. On parle toujours des grandes villes, car les historiens et leurs sources sont citadins ; mais le tableau d’ensemble, c’est que les Napoléons se sont mis méchamment à la bourre vis-à-vis des autres puissances européennes, en termes économiques comme institutionnels. Nous sommes encore très, très ruraux ; ces affaires de bagarre dans les rues, la, ça ne concerne guère que les parigots*. Si « La » Révolution est une exception historique, en 1870, il ne se passe pas grand-chose dans l’Orne ou en Lozère ; c’est l’opportune grande dépression de la fin du siècle qui va accélérer l’exode rural, nous rendant jusqu’à ce jour profondément dépendants du patronat.


Note à prendre pour plus tard : les sociétés industrielles ont besoin de détruire les modes de vie ruraux pour se fournir en chair à canons. Si tu dépends de leurs villes, t’as déjà un peu perdu.

 

Ensuite, on en a parlé l’autre j… euh, y a deux ans, la France est un Empire, qui ne cessera pas d’exister sous la IIIème, bien au contraire ; si vous pensiez que les gabonais ou les laotiens de l’époque en ont quelque chose à foutre de Louise Michel, détrompez-vous. Voilà bien les gens : on les massacre, on les envahit, on les occupe, et après ils n’attendent même pas qu’on les encourage à se révolter… mais on détaillera ça une prochaine fois.

 

Pour l’instant, retenons que La Fronce Éternelle n’est pas devenue républicaine parce que le sens de l’Histoire tavu, ni parce que « on a gagné » quoi que ce soit. On a sacrément perdu, en réalité, car pour commencer la Fronce machin n’est pas devenue républicaine du tout. Elle est devenue, à la fin du XIXème siècle, un régime de domination sophistiqué, protéiforme et foncièrement sournois, en permanente co-évolution avec ses meilleures ennemies : la presse, et son évanescente acolyte, l’ « opinion publique ».

 

* oui je sais, ça a bougé aussi à Lyon et Marseille. Et c’est à peu près tout, en tout cas le reste n’a pas tenu huit jours et ne détonne pas franchement au milieu d’un siècle de soulèvements ouvriers. Ceux qu’on commence à appeler « provinciaux », gens des provinces, comprendre gens pas vraiment sortis de l’Ancien régime, se soucieront bien davantage de la féroce occupation militaire prussienne, qui s’étendra jusqu’à la Loire et durera plusieurs années dans une bonne partie du quart Nord-Est.

 

Au début c’était un peu le bordel, mais ensuite…. euh...

 

Chez les patriotes, domine l’idée que la France a construit sa grandeur dans la défaite et la résistance. Usé et abusé surtout depuis 1945, ce vieux truc de « le peuple se souleva contre l’oppression et créa/sauva la République Républicaine Des Droits De l’Homme Humaniste Que Le Monde Entier Nous Envie » est un mensonge puissant, destiné à masquer que le monde nous envie surtout notre pognon et nos compétences militaro-industrielles, pas forcément dans cet ordre.

 

La date de naissance officielle de la Troisième, c’est donc ce fameux 4 septembre 1870. Junior vient de donner à la Prusse sa personne et la seconde moitié de son armée, en essayant de secourir la première avec le talent qu’on lui connaît. Les Junioristes restants n’ayant aucune idée de quoi faire, des émeutiers viennent porter au pouvoir les députés républicains, Ferry, Gambetta, tout ça ; alors que Paris est bombardé, on tente d’organiser des élections en se basant sur les lois mort-nées de la Seconde République. Assez malins pour forger les bonnes alliances et soutenir la principale revendication populaire -l’arrêt de la guerre-, les monarchistes en profitent pour obtenir une large majorité.

 

C’est l’occasion rêvée pour un vieux briscard des magouilles entre clan des perruques et bourgeoisie libérale ; ministre de l’intérieur puis président du conseil sous Louis-Philippe, exilé -brièvement- à l’arrivée de Junior, il a le profil idéal pour mater la populace en laissant les élites des deux camps reprendre leurs petites affaires dans le calme : lesdites élites lui confient le pouvoir exécutif sous les applaudissements.


Je vous présente l’antagoniste principal de cet épisode : Adolphe « un prénom pareil ça s’invente pas » Thiers.

 

La République, c’est lui

 

Et lui, c’est un homme du XVIIIème. Littéralement. Il a 73 ans quand il arrive au pouvoir. On s’en doutera, il ne faut pas s’attendre à de grosses réformes sociales de la part de Thiers. En revanche, il est historien de métier et très fan de la période Premier consul de Napoléon senior...

 

Il écrasera la Commune lors de la bien nommée semaine sanglante, puis exilera massivement les survivants en Nouvelle-Calédonie. Gambetta lui propose un impôt sur le revenu pour payer les dettes de guerre ; conscient que l’Assemblée (monarchiste, on le rappelle) est déjà à deux doigts de voter la Restauration, il refuse. Il tente d’imposer la nomination des maires par l’État (il ne l’obtiendra « que » pour les grandes et moyennes villes), renforce le pouvoir des préfets, crée le service militaire obligatoire sur le modèle allemand. Il est amusant de faire un parallèle entre lèche-bottes de son règne et de l’actuel, à l’image du Blanquer de l’époque, Jules Simon :

 

« M. Thiers se mêlait de tout. C’était un spectacle curieux de voir comment il s’occupait des plus petits détails sans s’y égarer et en conservant toujours son esprit libre pour les grandes affaires et les vues d’ensemble […] Il avait tous les jours des conférences avec le ministre de l’Intérieur, le ministre des Finances. Il faisait venir le gouverneur de la Banque, les grands financiers. […] Il suffisait à tout grâce à sa force de volonté et à l’extrême lucidité de son esprit. […] Il était quelquefois singulier de voir les ministres affairés ou accablés, tandis que le président, qui portait les fardeaux de tout le monde, était dispos et allègre »

 

Une stratégie payante. Comme l’écrira le moins révérencieux ministre Charles de Rémusat, la seule menace de sa démission et du chaos qui s’ensuivrait suffisait à calmer les ardeurs de l’Assemblée, qui « n’avait ni envie de le renverser, ni de le suivre ». C’est par opportunisme, en cherchant à consolider son pouvoir personnel face à des royalistes puissants mais divisés, que cette ancienne figure de la monarchie constitutionnelle va se faire républicain de façade. « La République est le régime qui nous divise le moins », déclarera-t-il.


En Octobre 1872, les élections générales confirment son flair. Les républicains écrasent les pro-perruques, qui comprennent trop tard qu’on les a baladés ; Thiers a remboursé Bismarck, réorganisé l’armée, stabilisé le pays, gagné jusqu’à la confiance des députés socialos les plus affairistes (rebonjour, Gambetta). La République a gagné cette manche. Pas Thiers : chafouins, ses opposants passent l’année 73 à limiter le pouvoir du président (c’est depuis cette époque par exemple qu’il n’est plus autorisé à se rendre au parlement) et finissent par le pousser à la démission. Redevenu député, il mourra peu après, dans un pays ou le presque centenaire derby républicains-monarchistes entre dans sa phase finale. Nous sommes il y a moins de cent cinquante ans.


Pour quelques perruques de plus

 

Je donne un peu l’impression que nos royalistes sont des PNJ dépassés, en perte de vitesse et incapables d’y faire quoi que ce soit. En réalité, si leurs résultats électoraux se cassent la gueule et si Thiers les a magistralement manœuvré, ils sont loin d’être hors course ; c’est leur poulain, le militaire Patrice de Mac-Mahon, qui remplacera Thiers et tentera une nouvelle Restauration.

 

Hélas, le noble projet échouera, victime des guerres intestines entre orléanistes, légitimistes et bonapar… nan, je déconne. L’ex-futur Henri V, petit-fils de Charles X guère plus rusé que lui, aurait très bien pu réaliser tous les rêves humides du clan des perruques en chopant la couronne et en devenant le papa de tous les français ; devinez pourquoi il l’a pas fait ?

 

Non, ça n’est pas une histoire de perruque. C’est une histoire de drapeau. Le gars refusait de reconnaître le drapeau tricolore comme emblème national, et il a été assez con pour le dire dans la presse. Du coup, c’était trop tendu de le mettre au pouvoir, nous on aurait aussitôt remis ça dans la rue.

 

Un compromis chelou est décidé, ou le parlement et Mac-Mahon attendent le décès de pas Henri V. A sa mort, ils veulent couronner son cousin le comte de Paris, l’arrière-arrière-grand-oncle de celui de maintenant ; le problème, c’est qu’ils vont se faire étendre aux législatives de 1876. Mac-Mahon va devoir présider avec à la tête du conseil l’ancien second de Thiers*, Jules Dufaure. C’est techniquement la première Cohabitation. Elle sera houleuse, Mac-Mahon finissant par dissoudre l’Assemblée un an plus tard, encore une belle habitude de prise.

 

Qui ne changera rien. C'est trop tard. Les républicains remportent élection sur élection, ce con de pas Henri V refuse de canner, le match est plié. Mac-Mahon démissionne en 1879, au profit de Jules Grevy ; sont choisis comme symboles officiels la Marseillaise et le 14 Juillet. L’année suivante, on amnistie les Communards. C’est bel et bien la fin de cet épisode, et voici un autre Jules, Ferry, qui débarque pour le prochain.

 

*et sénateur à vie, pour vous donner une idée d’où on en est niveau institutions. On reviendra sur le sénat. Ooooh, oui. 

 

La République, c’est nous ?

 

On se rapproche de l’idée, certes. Les décennies à venir sont celles ou notre vie politique va commencer à réellement changer. La laïcité, la dépénalisation des grèves et des syndicats, tout ça on y arrive. Pour la lutte contre la corruption en revanche, il faudra changer de siècle. 

 

On va faire la guerre comme jamais auparavant, aussi. La France a une partie de Monopoly à gagner. Qui va foutre le feu au monde.

 

On n’est plus si lointains, vus de 1880. Les arrière-grands-parents de pas mal de boomers savent déjà marcher.

 

Au vu de ce qui les attend, on ne peut que leur souhaiter d’apprendre vite à courir. Mais d'abord, il va falloir aller à l'école. 

 

On en recause bientôt. 

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