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Le blog de Léo Dumas

Soralelastix, le gaulois du village des méchants

30 Juin 2022 , Rédigé par Léo Dumas

(Archive de février 2018)

 

Bon allez. Tant qu’à subir les cycles de sommeil du narrateur de Fight Club sous amphétamines (mon corps me fait une nouvelle blague ces temps-ci, j’arrive pas à dormir plus de quatre heures d’affilée), autant en profiter pour reprendre le collier du scribouillage.

 

2017, pour ceux d’entre nous qui croient encore un peu à la politique, ça n’a pas été facile. La gauche qui renoue avec ses plus folkloriques traditions en se dynamitant toute seule aux portes du pouvoir, Macron qui se fait élire en pleurnichant sur la menace fasciste avant de nous sortir un début de quinquennat à faire passer Sarko pour un modèle de vertu républicaine, Wauquiez qui prépare de plus en plus ouvertement le rapprochement programmé de la droite et du FN -depuis dix ans que je dis que c’est lui qui va le faire, il serait temps que cette feignasse s’y mette-, la stratégie du choc si bien décrite par Naomi Klein qui continue à faire du monde une horreur sans nom de Nouakchott à Kaboul, Hulot qui cautionne le nucléaire et Schiappa la réforme du travail la plus antiféministe depuis René Belin... 

 

Je le dis pour ceux d’entre vous qui n’ont pas d’amis pauvres -ou évitent par une pudeur bien opportune de parler de ça avec eux : cette année, partout ou j’ai pu voir, c’est sacrément la merde pour ceux qui y étaient déjà*. Les problèmes économiques rencontrés par les occidentaux qui savent ce que ça veut dire vont en s’aggravant à une vitesse alarmante, et le pire, c’est que je suis tenté de terminer cette phrase par “comme d’habitude”. 

 

Ben ouais. Tout continue comme c’est le cas depuis quarante balais et la fin du plein-emploi, en somme. Pendant que nous, plus ou moins consciemment, on grappille ce qu’on peut en attendant que ça pète. Les échéances électorales n’en sont plus guère qu’un douloureux rappel.

 

En France, les voix qui s’élèvent contre cet état de fait sortent de trois chapelles : l’opposition institutionnelle de théâtre, CGT en tête, que les médias dominants se complaisent à appeler “la gauche”, c’est on ne peut plus pratique pour nous faire passer pour des couillons ; les progressistes antilibéraux, galaxie éparse dont je me flatte d’être un astéroïde, mais un jour, promis, on fera un système solaire cohérent sans se foutre sur la gueule ; et la fachosphère intelligente, dont le représentant le plus connu est sans nul doute Alain Soral. 

 

C’est de ce dernier qu’on va parler aujourd’hui, justement parce que je me suis récemment fait cette réflexion : tiens donc, comment se fait-il que plus personne n’en parle?

  

* Et qui sont principalement des femmes, d'où ma remarque plus haut... à ce sujet, lire le dernier billet de Lepage: https://www.facebook.com/permalink.php?story_fbid=1958971077689814&id=1525946107658982 

 

 

Ou l’auteur cite des passages de wikipedia qu’il a écrit lui-même (c’est tout de même pratique)

 

Alain Soral, donc. Pour les rares qui ne connaîtraient pas le bonhomme et ses idées au-delà du triptyque Soral = Dieudonné = Satan, permettez-moi, déjà de vous faire gentiment remarquer qu’un droit de vote bien compris, c’est avant tout un devoir de s’informer politiquement ; ensuite, de vous résumer l’Œuvre de ce grand nom du confusionnisme. 
 

 Vous vous rappelez de Lola, la caricature ratée de punkette qui pécho Coluche dans Tchao Pantin alors que même lui n’a pas l’air d’y croire ? Son interprète s’appelle Agnès Soral, et s’était fait un nom quelques années plus tôt dans un autre film de Berri et dans un rôle assez douteux de pin-up de seize balais qui force un pauvre quadragénaire innocent à lui sauter dessus à l’insu de son plein gré (on notera sans retenir un haussement de rétines l’intérêt dramatique des rôles de femmes “libérées” dans le cinéma français, mais passons).

 

Intégrée au monde du show-biz français au début des années 80, l’actrice y introduit son frère Alain, ancien kepon -pour de vrai, cette fois- sortant de l’EHESS ou il fut notamment l’élève de Castoriadis. Agitateur de rue déjà vétéran et esprit aussi brillant que provocateur, l’homme séduit puis agace un certain nombre de gens puissants, au gré de ses frasques, de sautes d’humeur parfois violentes et de fréquentes phases dépressives. Le profil type d’un personnage né hors-ghota et qui se retrouve dedans un peu par hasard, à l’image d’un Tapie ou même d’un Sarko. 

 

Bref, il joue dans une paire de films et dans une pub Michoko (un paquet de bonbons au premier qui le trouve: https://www.youtube.com/watch?v=meO17E7qQd0), co-écrit “Les mouvements de mode expliqués aux parents” qui fait un carton, puis devient un bon client des plateaux télé en tant que Michel Onfr... ahem, que réac de gauche de service, jouant notamment la carte de la menace féministe -sa “sociologie du dragueur”, écrit en 96, reste son best-seller encore aujourd’hui. 

 

Je vous la fais courte, il y a bien trop à raconter sur ce gars. C’est que ça fait un bon moment que je le connais, Soral... depuis le début des années 2000, ou j’étais jeune responsable régional du réseau Ras l’Front en train de me demander ce qu’il fallait faire au juste pour conjurer la vilaine menace fasciste. 

 

J’en étais arrivé à la conclusion qu’il me fallait, pour répondre à cette question, une culture politique un peu plus consistante que la soupe de bien-pensance dispensée par un environnement familial et scolaire qui en était encore à croire que Mitterrand était du côté des prolos ; c’était justement l’époque ou lesdits prolos, ayant quant à eux parfaitement compris qu’on s’était foutu de leur gueule, quittaient en masse l’électorat communiste pour faire du FN le parti de premier plan qu’il est resté depuis.

 

Cherchant à aller plus loin que l’attitude générale de ma classe sociale d’origine, laquelle consistait plus ou moins à traiter les ouvriers de gros beaufs, j’avais décidé de comprendre pourquoi. 

 

Devenu une taupe dans les rassemblements de fachos (la classe, hein? Ça fait tout de suite bouquin d’espionnage), j’accumulai une certaine connaissance de leurs réseaux internes, et fus notamment un témoin privilégié -si j’ose dire- de leur émergence dans le paysage internautique ; je rencontrai au passage, et à ma grande surprise, des gens passionnants, cultivés politiquement, parfois sincèrement humanistes, à l’opposé de ce que je croyais savoir des militants d’extrême-droite. Il est d’ailleurs à noter que si ma longue chevelure de l’époque me valut quelques ennuis avec le service d’ordre du FN, les ultras au crâne rasé des groupuscules les plus virulents ne m’ont jamais fait la moindre remarque ; j’écoutais ce qu’ils avaient à dire, c’est tout ce qu’ils demandaient. 

 

J’ai compris bien plus tard qu’ils m’avaient reniflé à trois kilomètres, et tenté de me retourner. Leçon de vie importante : la naïveté et l’ouverture d’esprit, c’est la même chose considérée d’un point de vue différent. 

 

Et bien entendu, tous me parlaient de Soral, d’ailleurs ancien communiste lui aussi. Intellectuel reconnu, bête de débat, rare parmi les rares dans le paysage télévisuel à savoir de quoi il cause quand il évoque les classes populaires, l’homme apporte au FN de l’époque, "un peu" léger question idéologie, un cadre géopolitique complet et cohérent compatible avec les thèses d’extrême-droite ; il devient notamment très pote avec Alexandre Douguine, penseur “national-bolchevique” décrit par les médias occidentaux comme l’éminence grise de Poutine, ce qui pour ma part me fait doucement rigoler, mais si je pars là-dessus y en a pour des heures.

 

Pourquoi le taire, je suis immédiatement attiré par Soral. La forme est cool, le fond travaillé, et surtout je me rends compte comme le fera plus tard Etienne Chouard que ce mec dit des choses pas connes qu’on n’entend personne d’autre dire ; je lui dois en partie une petite fierté citoyenne, mon bulletin non au référendum européen de 2005, alors que mes influences de gôche de l’époque (et notamment le Charlie de Philippe Val, dont je cesserai la lecture peu après) font tout ce qu’elles peuvent pour me persuader d’applaudir la farce. 

 

Bref, Soral l’agitateur, pas encore le chef de parti qu’il est devenu depuis, ça marche bien sur moi. Comme sur beaucoup d’intellos chiants de ma génération, Usul en tête, qui lui reconnaissent volontiers sa capacité à poser de bonnes questions. 

 

Mais comme dirait l’autre, la ou ça pêche, c’est plutôt dans les réponses.  

 

Pour quelques quenelles de plus

 

La suite de l’histoire est plus connue de notre beau pays ou s’il est de bon ton d’être Charlie, il est par contre plus dangereux d’être Dieudo. Admirateur de Céline, Soral prend le même virage ; il renoue avec d’anciens potes du GUD, sa critique louable des saloperies de l’état d’Israël devient obsession conspi, il se met à prendre l’idiot utile BHL pour un kador du système (ironiquement, c’est le même genre de contresens débile qu’on peut lire sur Douguine dans le Nouvel Obs, merde, j’avais dit que je partais pas là-dessus)... bref, plus on le dégage des plateaux télé, plus il part en couilles et nous fait un syndrome Malcolm X. Il est d’ailleurs amusant de noter que sa frangine, qui lui a permis l’accès à la notoriété, tentera de relancer la sienne en lui crachant à la gueule à qui mieux mieux, sans grand succès.

 

Mais si le gars a beaucoup appris à Le Pen père, l’inverse est vrai aussi. Il sait gérer un fonds de commerce idéologique, et va s’y employer avec un talent certain. Vous avez tous lu dans la rue des tags “Soral a raison”; ce que vous ignorez peut-être, c’est qu’il s’agit du slogan officiel d’Egalité et Réconciliation. Il est possible d’acheter sur leur site plein de jolis objets ornés de cette phrase efficace et pas du tout égocentrée ; le tout à des prix pas plus abusés que le T-shirt de métalleux moyen, et au moins c’est made in France. 

 

Surtout, il y a les fameux entretiens youtube, le canapé rouge, et les diatribes antisionistes à deux cent mille vues. Et si l’on oublie -je sais, c’est pas évident- les mots-clés complotistes et l’ego démesuré du mec, ce qu’il dit tient la route. Mais genre, vraiment grave la route. Je suis d’accord avec lui sur plein de trucs, y compris des questions que j’ai travaillé en tant qu’universitaire et que je continue à creuser depuis -je pense à la géopolitique russe, mais pas seulement*.

 

Soral a raison... souvent, oui. Et quand il arrive à sortir une phrase sans dire juif, hystéro-lesbienne ou maçonnico-[insérer votre insulte ici], ce qu’il dit ne sort pas de son chapeau. C’est un authentique érudit, au discours souvent plus juste, mais aussi moins violent et méprisant envers le peuple que celui du commissaire européen lambda -je ne prétends pas que c'est dur.

 

Et c’est précisément pour cette raison qu’on fait taire ce type à coups de procès et d’injures, alors qu’on laisse des Zemmour dégobiller leur haine de tout ce qui est chouette à longueur de temps de cerveau disponible. Zemmour ne représente aucun danger pour le libéralisme. Soral, lui, c’est pas sur. Ne serait-ce que parce qu’il prétend s’adresser avant tout aux classes populaires, dont le susnommé se fout éperdument.

 

Voila ce qu’on se dit en étudiant objectivement Soral, et voila comment il arrive à retourner des gens pas toujours cons. 

 

*A propos de ça, je cherche un·e russophone avec du temps libre, notamment pour un meilleur accès aux travaux de certains scientifiques éponymes non traduits en anglais pour des raisons parfois un brin suspectes. S’adresser ici.

  

De l’art de ne pas se faire lyncher après avoir écrit ça 

 

Arrivés à ce stade de leur lecture, un certain nombre de camarades sont probablement en train d’aiguiser leurs lames pour préparer notre prochaine et chaleureuse rencontre. C’est que Soral, chez les gauchos, c’est pas un sujet de déconne; rien que le fait de continuer à soutenir et citer Chouard, lequel a eu le malheur de mettre un pauvre lien soralien sur son site web et se retrouve depuis sur la liste noire des libertaires maccarthistes, me vaut des inimitiés. 

 

A ceux-là, je me bornerais volontiers à répondre “commence par écouter ce qu’il dit”, chose qu’ils n’ont probablement jamais fait. 

 

Mais en réalité, c’est pas la que je veux en venir. Je ne souhaite pas qu’on traite Soral comme un autre agent médiatique ; je souhaite, en somme, à peu près l’inverse. 

 

Parce que les quelques heures de visionnage du bonhomme que je me suis (re)tapé ces derniers jours en mode “fais gaffe, zone dangereuse, garde ton esprit critique branché”, m’ont rappelé que cet esprit critique nous fait trop facilement défaut en d’autres circonstances. 

 

Comme expliqué plus haut, je m’inquiétais de sa disparition de mes radars internautiques, depuis qu’il m’avait hautement convaincu de l’efficacité de sa rhétorique envers les sympathiques idées de ce bon vieux Daniel Conversano (renseignez-vous sur Conversano puis cherchez le gif de leur entretien, ça vous mettra le moral pour la journée). Or, il se trouve qu’il a de bonnes raisons de fermer sa gueule ces temps ci, car il va très probablement finir en taule. Il vient d’être condamné à trois mois fermes en appel. 

 

Seulement, il n’y a aucune trace de cette information dans les journaux présentables. L’ennemi public numéro deux va enfin tomber, ils devraient se délecter, Libération et consorts... ben non. On ne trouve cette info que chez les principaux concernés, et chez les fachos d’en face comme la puante Ligue de Défense Juive (n’ayant aucune envie de coller les liens ni des uns ni des autres, je vous laisse vérifier la chose vous-mêmes).

 

Je n’ai pas d’explication toute faite à cela, même si l’hypothèse du “on veut pas en faire un martyr” vient à l’esprit; mais il faut tout de même préciser un détail important.

 

Le détail important, c’est que Soral va être condamné pour un dessin.

 

Un dessin dont il n’est pas l’auteur. Il est accusé de l’avoir publié. 

 

Et, vous allez rire, le dessin en question est la parodie d’une couverture de Charlie Hebdo.

 

Vous vous souvenez sans doute de l’original. C’est celle de Stromae qui chante “papa ou t’es” au milieu de plein de petits bouts d’africain, vu que le père de Stromae a été découpé à la machette pendant le génocide Rwandais, qu’est-ce qu’on rigole n’est-ce pas? Cet étron avait bien entendu fait polémique et boosté les ventes du journal, une recette devenue classique chez eux... mais de condamnation, point, car la liberté d’expression c’est important. Et puis on est tous Charlie. Surtout quand ils sont engagés dans de vrais combats de gauche, comme faire tomber Mediapart ou nous dire que quand même, l’Islam, c’est un problème en France.

 

Soral a donc publié une image s’inspirant de celle-ci et toute aussi dégueulasse, lui aussi en s’amusant d’un génocide, je vous laisse deviner lequel. Très bien, qu’on le colle au trou quelques mois, ça devrait le calmer un peu de tester son virilisme dans les douches de Fleury-Mérogis.  Mais alors, qu’on y colle Riss également. Qu’on le mette dans la même cellule que l’autre, tiens, lui qui aime bien les bonnes blagues.

 

Traiter un connard différemment d’un autre connard sous prétexte que son obsession malsaine à lui, c’est le Judaïsme plutôt qu’autre chose... ben, c’est lui donner raison, en fait. 

 

Il faudrait qu’on se décide. Soit on défend la liberté d’expression dans son acception américaine, et dans ce cas on n’empêche personne de parler. 

 

Soit on considère comme trop dangereux un certain nombre de discours, comme les incitations à la haine ou la propagande mémorielle. 

 

Mais dans ce cas-la, on ne peut pas appliquer le deux poids, deux mesures, et s’étonner ensuite que des gens écoutent Soral. 

 

Cosmopolitement votre. 

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