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Le blog de Léo Dumas

Errances, free partie

13 Août 2011 , Rédigé par Léo Dumas Publié dans #Errances

Aurillac, 21 aout 2010

 

 

Il fallait bien en arriver la. Aurillac. C'est étonnant de constater, quand on se construit au fil des routes, combien se multiplient les lieux "ou tout à commencé"; en ce qui me concerne, j'aurais même du mal à faire la liste.

 

Firminy. Bologne. Galway. Tence. Belleville. Coolaney. Utrecht. Carvin. Saint-Agrève.

 

Aurillac.

 

 

Il y a longtemps, alors que la question des drogues se posait à moi avec insistance, et que mon instinct de conservation (qui avait fait son boulot d'instinct de conservation en répondant "non" à la question, avant qu'une curiosité mal contrôlée me pousse à des expérimentations par trop hasardeuses), m'avait à peine lâché la grappe afin de me laisser poser un semblant d'analyse sur cette inépuisable problématique...

 

Il y a longtemps, donc, je suis mort.

 

C'est ici-même, à l'entrée du bien connu camping associatif de la Ponétie, planqués derrière cette cabine téléphonique comme deux collégiens fumant leur clope en douce à coté du gymnase ou leurs copains suivent péniblement le cours de Mr. Mégot, que mon camarade Duclem et moi-même connûmes la fin définitive d'une certaine idée du "moi". Depuis, il m'est souvent arrivé de penser que lui lui ni ma pomme ne vivons plus vraiment ; qu'on fait semblant, comme des grenouilles de laboratoire branchées sur les électrodes d'un docteur Frankenstein herpétophile.

 

Ou alors, on a commencé à réellement vivre. C'est ce que je me dis la plupart du temps, histoire de me lever (parfois) le matin; mais la tristesse blasée qui m'étreint en pensant au brave petit pion capitaliste qu'est devenu mon ancien meilleur pote me ramène aussitôt à la raison: un fil s'est rompu ce soir-la qui menait à nos rêves, et je n'ai jamais cru en l'existence d'un Couturier Suprême qui pourrait le raccommoder.

 

La lâcheté, cette vieille compagne, cet outil de survie, cette saloperie indéracinable, cette boussole inversée qui indique le mauvais nord magnétique aux pseudo-civilisés que nous sommes. Voila ce qui nous tue, voila ce qui fait que la plupart des vies humaines se terminent en triste gâchis. Mon premier contact avec la came chimique est un pur acte de lâcheté, la suite de l'histoire entre elle et moi une lutte pour reconquérir une dignité que je doutais (et doute encore) d'avoir jamais eu.

 

Mais remettons un doigt de contexte. C'était avant, quand l'Errance s'appelait encore voyage...

 

 

 

Bronnoysund, 17 juillet 2001, quatre heures du matin

 

 

Impossible de dormir plus de deux heures. Le soleil est la, dehors, amorçant son non-lever après le non-coucher qui lui aura pris la première partie de la... euh... non-nuit. Pour une raison obscure, quelque chose en moi le sait qui me refuse le sommeil.

 

C'est quand on est loin de tout qu'on sait ce qui nous manque, et il est difficile d'être plus loin de tout qu'en Scandinavie, à trois poils de cul de seconde d'arc du cercle polaire que nous passerons dans deux jours direction les îles Lofoten. Dormir ne me manque pas, fumer des pétards non plus -même si l'absence de nicotine comme de THC explique sans doute un peu mes insomnies ; les copains, il faut bien le dire, sont le cadet de mes soucis dans ce pays temple d'une solitude que je n'ai jamais autant apprécié.

 

Ce qui me manque, c'est Alice.

 

Merde alors. Deux ans que j'ai une vraie vie sociale, que je squatte dans l'auberge espagnole de Nath' et Djoule à croiser hippies quadragénaires et jeunes rôlistes alcoolos marrants -les mêmes qui m'appelaient l'autiste il n'y a pas si long ; deux ans que mon inaptitude à la vie réelle se craquelle doucement, deux ans que je lis dans les yeux d'autrui autre chose que du mépris ou de l'incompréhension plus ou moins bovine. Deux ans que je commence à plaire aux filles, aux plus barrées d'entre elles tout au moins.

 

Et j'en suis encore à me laisser mener par le bout de la truffe et par une gamine d'à peine quinze ans qui a plus vécu que moi. No comment.

 

Viendra-t-elle à Aurillac? C'est tout ce qui m'importe pour l'avenir, avec peut-être les trésors d'ingéniosité nécessaires à ramener le bon matos que je vais aller chercher en débarquant du bateau à Rotterdam ; savoir si le premier gros festival de toute ma vie se fera en compagnie de cinq cent mille inconnus ou d'une fillette trop junkie pour son age. C'est tout ce qui me rattache à mon quotidien, à cette heure ou je me lève pour faire le tour du port ou les mouettes, elles non plus, ne dorment pas.

 

J'ai besoin d'air pur, après cette nouvelle année dans Saint-étienne la crade ; ici, ce n'est pas ce qui manque. La mer est à quinze minutes à pied, les premières neiges éternelles à moins d'une heure ; je dois pouvoir me régaler des deux avant de préparer le petit déj.

 

Comme je redoute, du fond de cette Norvège intemporelle, le retour au monde du temps qui passe...

 

 

 

Aurillac, 24 août 2001, huit heures du soir

 

 

Jet de calme: raté.

 

Jet de volonté: échec critique.

 

Effets: vous hurlez, fondez en larmes et dépensez un point de destin.

 

 

Parfois, le jeu de rôle à ceci d'intéressant qu'il donne un regard extérieur sur ses propres actions, les dépiautant en un ensemble de mécanismes émotionnellement neutres ; c'est ce qui me permet de croire, parfois plusieurs secondes d'affilée, que ce que je vis en ce moment n'est pas une plongée en chute libre dans l'horreur abjecte.

 

Mais une partie de jeu de rôle n'est pas émotionnellement neutre ; c'est même tout le contraire.

 

Deux gars, deux filles, partis en festival pour s'éclater, chacun sa chacune et vive la vie; à première vue, on peut trouver des cauchemars plus cauchemardesques.

 

Sauf quand la drogue s'en mêle, transformant les deux minettes concernées en complices de défonce et les deux pauvres couillons à leurs bottes... en pauvres couillons à leurs bottes, mais avec en plus le sentiment d'assister au début de très grosses emmerdes sans rien pouvoir y changer.

 

Clem et moi suivons benoîtement nos deux amours à sens unique de peur de les perdre de vue -de les perdre tout court-, gérant la logistique tandis que ces dames décident du programme et draguent tous les camés qui passent au cas ou ils seraient partageurs ; je découvre cette forme détournée de prostitution avec un certain dégoût, m'apercevant à dix-neuf ans que je ne connais rien des relations mecs-filles, que les beaux principes de courtoisie dans ma petite tête de chevalier blanc n'étaient pas préparés au choc du monde réel dans toute son intensité festivalière. Bref, j'ai mal à en chialer, d'ailleurs c'est ce que je fais.

 

Clem est plus fataliste, comme un mec qui en a vu d'autres et sait que c'est loin d'être fini ; "je prends ce qu'on me donne", dit-il en me rendant le pétard; "d'ailleurs, je me demande si je vais pas en prendre si elle m'en donne"

 

"T'es sérieux?" Bouffer un ecstasy... l'idée ne m'avait jamais traversé l'esprit, et quand bien même le peu que j'en ai vu ici ne m'aurait pas incité.

 

Il hausse les épaules, me montre le camping en effervescence ; il n'a pas besoin d'expliquer. Des milliers de personnes sont en route pour une nuit de débauche au cœur de l'un des plus gros festivals d'Europe ; on a le choix entre rester coincés dans nos têtes au milieu de tout ça, subissant passivement la douleur d'être esclaves consentants des deux petites connes... ou de se vider le cerveau un bon coup pour oublier ce qu'elle contient, notre foutue tête.

 

Ça marche. Ce soir, on teste leur machin. Ça pourra pas être pire.

 

 

 

Auirillac, 21 aout 2010

 

 

Bilan du "ça pourra pas être pire" : trois tentatives de suicide dans mon entourage, dont une réussie, quelques soirées longues et douloureuses dans un univers de teufeurs que j'ai jamais vraiment pu sacquer, un nombre incalculable d'embrouilles entre potes sur le sujet des cachetons, quelques cerveaux à moitié grillés, et... bof, disons un peu plus d'une année de vie merdique, passée en croisade contre la dope non-cannabique et contre mes propres sentiments. Ma première vraie copine arrivera la-dessus et paiera un lourd tribut à mon besoin de me regonfler un ego taillé en pièces, mais c'est une autre histoire.

 

Tout aurait été tellement différent si j'avais dit non. Si j'avais agi selon mes principes, et pas selon mon désir de plaire à tout prix, d'être "intégré". Intégré... hah! Dilué, ouais. 

 

Une blessure au cœur fait moins mal qu'une blessure à l'âme, je m'en rends bien compte maintenant. L'humiliation de m'être couché devant l'avis des autres, devant mon espoir de rester quelqu'un d'intéressant pour cette petite allumeuse déjà complètement addict aux courts-circuits synaptiques, d'avoir sali mon pote en conditionnant notre complicité au fait de grincer des dents et de se dilater les pupilles ensemble... merde, c'était tellement, tellement con. Seule la bêtise est impardonnable, disait Jacques Brel; je ne me pardonnerai jamais ce coup-la.

 

Et le festival d'Aurillac? Bof. Trois ans à refuser d'y aller pour ne pas avoir mal, puis l'envie d'être "la ou ça se passe" a été la plus forte et m'a empêché d'en louper une seule édition depuis 2004 ; j'y ai été bénévole, artiste, badaud, dragueur à la petite semaine, vendeur de chichon, taxi collectif pour piétons en galère; j'ai même eu l'audace de m'y ennuyer. Un évènement exceptionnel pour la plupart des participants, la routine du semi-nomade pour ma gueule.

 

Quant à la drogue, elle est toujours la ("de plus en plus", disent les vieux cons, dont je refuse d'être), fractionnant la population du festoche entre ceux qui sont en plein dedans, ceux qui en font ce que les textes officiels de santé publique nomment un "usage récréatif", et ceux qui lui disent non, berk, caca, pas glop, saloperie. Je suis dans ce dernier cas, par compensation pourrait-on dire, même si mon avis profond sur la question est en fait assez nuancé ; vaut mieux un rejet franc et massif qu'une tentative d'explication qui me place d'office au rang des "pro-drogues" aux yeux de mes interlocuteurs. Parfois, la diplomatie, c'est savoir quand ne pas nuancer.

 

J'ai arrêté les joints il y a maintenant quatre ans, à la faveur du célèbre "contrôle douanier en trop" et de la mystérieuse cérémonie de l'injonction thérapeutique ; cela n'empêche toujours pas les gros fachos tenanciers de l'industrie du tabac de me compter parmi leurs clients, même si je compte bien y remédier un jour prochain.

 

Reste l'alcool, avec lequel mes relations furent difficiles au début faute d'un estomac solide, mais qui restera sans doute un bon copain pour le restant de mes jours. Ah, et je ne déteste pas les champignons, de temps en temps.

 

Alors, si je suis clair avec ma défonce, si Aurillac n'est plus un lieu maudit, si la vision d'un cacheton ne me donne presque plus aucune pulsion génocidaire, pourquoi donc suis-je mort à Aurillac?

 

Ah oui, c'est vrai. Je n'ai pas raconté toute l'agonie en détail...

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