Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog de Léo Dumas

Trois heures et un coup de faim

8 Avril 2013 , Rédigé par Léo Dumas

(oui, je sais, c'est vraiment lamentable, comme titre)

 

Bienheureuses insomnies du retour à la seule réalité qui compte vraiment pour nous: la nôtre.

 

Les hasards de l'Errance me laissent quelques jours seul. Vraiment seul, sans famille, sans amis, sans coloc de fortune, sans en tête le poids d'avoir à jouer ce putain de jeu social ou j'arrête pas de perdre, faute de savoir au juste quoi y gagner. Je n'ai pas eu cette chance depuis plus d'un an.

 

Que dis-je... depuis avant Lille, avant Élo, avant l'Irlande, depuis plusieurs vies.

 

J'en étais malade, je le vois bien maintenant. Malade de l'absence de ces moments ou silence et pénombre sont la pour moi, et non pour respecter le sommeil des gens d'à côté. Malade de n'avoir plus l'espace immense que cet ogre timide de cerveau me réclame, pour enfin oser s'étirer, prendre ses aises, choper une bière dans le frigo et se mettre à me causer.

 

Dehors, la nuit est figée sous la neige. Il fait froid, de ces froids de montagne à faire douter de l'existence d'animaux vivants à l'extérieur ; non loin d'ici, le poêle à bois laisse tiédir ses dernières braises.

 

J'ai sommeil. M'en fous. Je suis on ne peut plus chez moi. Dans un cocon de solitude ou même le temps qui passe n'a plus d'importance.

 

À ma gauche, cahiers, carnets, feuilles volantes, notes sur tout en général et n'importe quoi en particulier, le contenu de trois papeteries et deux écoles primaires ; nefs de papier et clochers en boite de stylos, mini-temple au dieu Scribouillage.

 

À ma dextre, bol de café, chope de bière, bouteille de flotte, clopes et cendrier. Les restes de quelques fruits. Un yaourt vide. Mes appétits terrestres justifient à peine un saut à la ligne.

 

Tout autour... si vous pouviez voir ça, ça vous ferait sourire. J'en ai même à mes pieds, empilés jusqu'au niveau des genoux, presque à hauteur du bureau, mes propres productions font figure de post-it en comparaison.

 

Des livres.

 

Des tonnes de livres, et je ne suis pas sur d’exagérer. Céline, Maupassant et Kundera me surveillent l'air de rien, planqués dans des coins d'étagère, tandis qu'un ouvrage sur les uniformes Napoléoniens assez vieux pour avoir été écrit par l'empereur lui-même menace de me tomber sur la gueule ; Joyce côtoie Marivaux, Terry Pratchett drague Selma Lagerlof, Sade partouze avec Bakounine, Fred Vargas met un râteau à Maxime Chattam ; un dictionnaire d'Italien se fout de ma gueule depuis tout à l'heure, parce que j'ai du l'ouvrir trois fois pour traduire dix pauvres lignes du Corriere della sera sur les élections d'hier. Il restera par terre entre une carte routière de l'Oregon et un manuel de Français pour 1ère S, ça lui apprendra le respect du lecteur, à ce petit con.

 

Y a même ma vieille bible du catéchisme -eh oui-, la série de Tout l'Univers sur laquelle j'ai appris à lire, et une série de classeurs genre cadeau d'abonnement au reader's digest, avec des fiches descriptives de plantes en pot qui m'avaient jadis inspiré un jeu étrange, mélange de Magic et Subbuteo, auquel j'ai très peu joué faute de copains de jeu mais sur lequel j'avais passé des semaines de conception fiévreuse*. Vingt ans plus tard, j'allais constater combien j'étais plus à l'aise comme organisateur de GN qu'en tant que joueur, et comprendre qu'il s'agissait d'une manière détournée d'être à la seule place que je sois capable d'assumer au sein d'un groupe: le plus à l'écart possible.

 

 

C'est une de ces nuits ou les pensées s'étirent, comme elles ne savent le faire que dans les montagnes et les déserts -les religions n'y naissent pas par hasard ; une de ces nuits ou je peux prendre la mesure de ce qui m'attend prochainement: le délicieux infini des possibles.

 

 

Dieu ne joue pas aux dés, mais à une version du poker... je n'apprendrai rien aux fans de monsieur Gaiman** ; et en ce qui me concerne, Dieu à décidé de rebattre les cartes, autant dire que je n'ai aucune idée du continent sur lequel je me trouverai dans six mois.

 

La dernière fois qu'il m'a fait le coup, Dieu, il a eu la main lourde. J'y ai gagné mon premier découvert, une réflexion approfondie sur la question du suicide (j'ai répondu non à la question, hein, mais tout de même), un abcès dentaire à pleurer de rage suivi d'un joli trou dans mon sourire, et l'expérience de la haine, de la vraie haine sourde et dégueulasse que l'on ne peut ressentir qu'envers quelqu'un qu'on a aimé à mort.

 

J'étais amoureux fou. Pas fou gentil, hein ; fou taré. Fou du genre de folie qui te fait transpercer les murs à coups de poings. Pas de bol, j'étais tombé sur une nana dont c'est l'état normal, amoureuse ou pas ; connement, je me suis dit "chouette, c'est réciproque".

 

Elle est venue me chercher, attirée par ce blog -qui décidément me vaut bien des ennuis- comme un requin par une traînée de sang ; elle m'a pris, nouveau personnage de son petit théâtre perso, guest-star de la saison 36. Elle m'a disséqué, analysé de fond en comble, m'a dit des vérités sur moi que je n'osais même pas penser -et pas mal de mensonges, aussi. M'a dressé à être son mec, ou plutôt à l'idée qu'elle se faisait du rôle.

 

Et puis, elle a décidé que je ne le jouais pas assez bien. Normal: pour une fois, je ne jouais pas du tout.

 

Elle s'appelle Axelle. Elle est la seule personne que je m'autorise à nommer ici sans son accord, parce que son pouvoir sur moi a toujours reposé sur le secret ; la désigner en public est presque un exorcisme, dont j'ai foutrement besoin encore maintenant.

 

J'ai passé les moments les plus intenses de ma vie en sa compagnie. Je ne savais pas que faire l'amour pouvait durer vingt-quatre heures. Je ne savais pas qu'une visite convenue pour touristes en manque d'imagination pouvait devenir instant de pure magie. Je ne savais même pas que certaines femmes, quand on marche dans la rue accroché à leur bras, pouvaient attirer des regards de haine pure de la part des mâles.

 

La convoitise, la jalousie, sont Œdipiennes. Elles sont volonté de voir disparaître l'autre, elles sont envie de meurtre. C'est la lueur assassine dans le regard de son ex, c'est le "pourquoi ce connard?" écrit sur la tronche des passants Dublinois, qui me l'a fait comprendre.

 

Ça m'a tellement choqué que depuis, je me surveille ; et, bonne nouvelle, j'ai surmonté mon Œdipe. Quand je croise un fantasme ambulant accompagné dans la rue, je ne jette pas de regards noirs au type ; du temps perdu pour se rincer l’œil.

 

Pourtant, quelle puissance donne la biologie, parfois, et quelle douleur aussi... ça fait réfléchir, de se dire qu'il y a des femmes qui vivent ça tous les jours. Finalement, ce qui serait étonnant, ce serait plutôt qu'elles restent saines d'esprit. J'en viens à comprendre ces filles qui choisissent librement de porter le voile, et à ricaner un peu quand on leur assène que c'est "se transformer en objet" : il me semble à présent que c'est tout le contraire qu'elles tentent de faire, et que les opinions religieuses sont avant tout l'art de voir midi à sa porte, même chez les laïcs.

 

 

Parfois, ce qu'on est devient trop fort pour nous, et il faut s'en protéger. La souffrance de ceux dont c'est le cas en permanence est difficile à concevoir.

 

J'y arrive très bien, pourtant. Merde. Mauvais signe.

 

 

Bref. Voila un exemple de ce que peut donner le chaos de l'avenir, une fois changé en passé. Mais les temps changent, et les voies de Dieu restent impénétrables malgré le mariage pour tous ; peu de chances que sa prochaine donne soit aussi mauvaise.

 

Surtout que la différence entre un naïf et un idiot, c'est qu'il se laisse plumer une fois, pas deux ; ce coup-ci, le surdoué de la triche qui écrit ces lignes a des as plein les manches.

 

Outre les retrouvailles de potes qui dégénèrent en projets utiles, ou rigolos, voire même les deux à la fois si l'on est suffisamment saouls, les Notre-Dame des Landes qui font des petits avec la ZAD du Tronçais, uno, dos, muchos Vietnams, poussez-vous, moi aussi je veux taper sur les Romains, pardon, les CRS, les offres d'emploi qui tombent du ciel et qui ont du SENS, putain, du vrai sens à elles toutes seules, moi qui m'épuisais depuis un an à en (re)donner à mon ancien taf, les propositions de voyages à la pelle, de la Roche sur Yon à Vladivostok...

 

Outre, donc, tout ça, j'étais prêt.

 

Il me fallait juste une pause. Les milliers d'idées que j'avais laissé décanter dans un coin de ma tête avaient eu le temps non seulement de décanter, mais de s'agglomérer entre elles par ordre d'affinités, de sortir de l'eau et d'aller boire une bière ensemble en refaisant le monde ; à présent que j'ai eu un peu de temps pour papoter avec elles, je suis à peu près certain que les dix prochaines années vont être ô combien intéressantes.

 

Reste à finir la discussion avec elles. Ce qui implique de garder, d'une façon ou d'une autre, ce nid douillet d'intimité ou nous tenons salon elles et moi.

 

"Le nomadisme, c'est un choix de vie à faire toutes les semaines", m'a dit un pote gitan. Il s'est sédentarisé deux ans plus tard. Par choix de vie. Le changement, c'est tout sauf de l'incohérence.

 

C'est l'une de ces nuits ou je me rends compte combien c'est vrai.

 

Je pourrais plein de trucs. Je pourrais voyage, je pourrais nouveau boulot, je pourrais juste me laisser vivre. Mais la, ce dont j'ai vitalement besoin, c'est de créer.

 

Le soleil se pointe, tiens. Un froid soleil continental qui baigne la neige de reflets d'or, sans effet notable sur son épaisseur. C'est un vrai hiver qu'on a cette année, et il n'a pas dit son dernier mot.

 

Cette dernière phrase est bateau, et mon cerveau tangue. Je vous laisse la-dessus, et retourner rêver. Rêver... ça ne m'arrive que dans ces périodes trop rares ou la vie me lâche la grappe, me laisse me caler à ma place d'observateur. J'ai trop dormi l'an dernier. Je n'ai pas rêvé assez.

 

Allons rattraper ce retard.

 

 

Libertairement vôtre,

 

Léo

 

 

 

 

 

*J'ai toujours les règles. C'est injouable à moins de disposer d'une vingtaine de mètres carrés au sol et d'une mémoire d'éléphant, mais le principe tient la route. Je vous ferai essayer un jour, si vous avez toujours rêvé de prendre la tête d'une armée de cactus lancée à l'assaut de Géraniums de combat dans un bloodbowl végétal.

 

 

**Quant aux autres, je vous annonce que votre prochain bouquin de chevet s'intitule "de bons présages". Si si, je vous assure. Enfin, je dis ça, c'est pour vous, hein.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article