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Le blog de Léo Dumas

QEOR (partie 2 : d'un chapeau l'autre)

2 Juin 2022 , Rédigé par Léo Dumas

"S'il est un titre que les candidats à l'élection présidentielle se sont disputé durant les derniers mois de campagne, c'est bien celui de champion de l'industrie. Brandissant le Produire en France, le Made in France ou le Fabriqué français, ils ont tous cherché à endosser le rôle de président des usines.

Mais celui qui mérite le plus ce titre, c'est le premier président de la République française élu au suffrage universel direct : Charles Louis Napoléon Bonaparte. Plus connu sous le nom de Napoléon III, il fut l'instigateur d'une véritable révolution industrielle.

Sous son mandat (d'un an !), puis son règne (1852-1870), la France rattrapa son retard sur l'Angleterre. S'appuyant sur une bourgeoisie très entreprenante comme les frères Pereire, le Président-empereur développa un environnement favorable aux entreprises privées.

Il suscita la création de grandes banques de crédit pour financer leurs projets industriels, il révisa le code des douanes pour favoriser certains secteurs et adapta le droit des sociétés. On lui doit les statuts de SA, de SARL et de sociétés par commandite. Le réseau ferré (véritable colonne vertébrale de l'essor industriel) passa de 3 500 km en 1851 à près de 20 000 km de voies en 1870.

Grâce à lui, de nouvelles industries, celles des mines, de la sidérurgie ou des constructions métalliques, se développèrent. À la fin de son règne, 10 millions de voyageurs et 45 millions de tonnes de marchandises étaient transportés par le fer. Pas de doute, le président de l'industrie, c'est lui !"

(L'Usine nouvelle, avril 2012)

 


  Ils sont quand même gonflés, les capitalistes. « La France rattrapa son retard sur l'Angleterre », genre. Celui que nous a fait prendre son oncle, eh, bande de rigolos. Et c’est Louis-Philippe qui a lancé les grands travaux ferroviaires, pour ne debunker que ça.

 

Au moins, vous savez ce qu’on pense du « président-empereur » (non mais sans déconner, quoi…) dans la grande bourgeoisie industrielle : ça c’est un mec qui a mis les français au boulot, non mais sans blague. Vous le sentez ou pas que la journée de 12 heures et le travail des enfants, ça leur manque un peu ?

 

Il n’a pas fait bosser que les français, d’ailleurs. C’est sous la présidictature de Napoleon-l’épisode-final* que l’exploitation des territoires coloniaux va prendre son rythme de croisière ; quand on sait que ce qu’il y avait juste avant en guise d’échauffement, c’est le commerce triangulaire, ça vous donne une idée, camarades racisé·es, de ce qui attend vos ancêtres. Enfin, vous le savez sans doute mieux que moi.

 

On est issu·es de ce monde-là. Ils ne demandent qu’à ce qu’on y retourne. Regardez Macron tout content d’offrir un cheval à la reine d’Angleterre pour son foutu jubilé**. Leur vision du monde n’a jamais, au grand jamais, quitté le XIXème siècle. Le seul progrès qui vaille à leurs yeux est celui qu’ils souhaitent à leurs machines. Elles les font moins chier que nous.

Et aujourd’hui, on parle d’un des pires parmi les pires d’entre eux.

 

* ça va être un long article. Je renonce à lui trouver des surnoms rigolos à chaque fois. Appelons-le Junior.

** rien qu’avoir loupé la tronche de Babette reçue à l’Élysée par le président Mélenchon, vous avouerez, c’est quand même bien dommage. Elle aurait causé d’autre chose que d’un match de foot parti en vrille, la presse anglaise, c’est moi qui vous le dis.

 

Putain, mais quelle famille

 

Tout petit déjà, Junior avait ce délicieux tempérament propre à son ascendance de grands malades sanguinaires. A quatre ans, il fouettait ses nourrices et mangeait ses chats.

Nan, je déconne, chuis énervé. Vous allez comprendre pourquoi. C’était pas la moitié d’une ordure, ce mec. Passons rapidement sur ses excuses et sur la période sympa, celle ou personne le prenait au sérieux.

 

En 1816, toute la famille de tonton 1er est exilée. Junior a huit ans, il vit plus ou moins livré à lui-même dans un château en Suisse avec une mère officieusement divorcée qui se soucie de lui comme de son premier domestique* ; personne ne s’occupera de son éducation, à part un vieil officier de son tonton qui lui lit l’Art de la guerre en lui bourrant le mou avec la légende familiale. Bref, il est bien parti pour devenir complètement con, et ça va pas louper.

 

A la mort de son cousin II -c’est la qu’on raccroche les wagons avec notre première partie-, il devient héritier de la couronne impériale, pour ceux qui croient à ça, c’est à dire plus grand monde à l’époque. On sort à peine de la Révolution de Juillet, ni les bourgeois ni le clan des perruques n’ont envie de voir un nouveau Bonaparte revenir mettre le bordel. Junior va devoir conspirer depuis l’étranger pour accéder au pouvoir, et il va pas se gêner. Sauf que, rappelez-vous, il est complètement con. C’est pourquoi je conseille la lecture du prochain paragraphe sur fond de musique de Benny Hill.

 

Pour se rendre crédible en chef de guerre, Junior va d’abord se lancer dans une carrière militaire. En Suisse, ça commence bien. N’ayant de contacts qu’avec ses partisans, il finit par se persuader qu’il lui suffira de traverser la France en ralliant le bon peuple sur son passage pour pécho sa couronne sous les ovations ; il se rend à Strasbourg, ville réputée pro-lui, et… vous pouvez couper la musique, il se fait arrêter comme une merde à peine arrivé. On l’exfiltrera discrètement (à New York, me demandez pas pourquoi), de peur qu’un procès lui serve de tribune.

 

Ça ne va pas le calmer longtemps. Il revient en Europe avec des faux papiers, manque de déclencher une guerre entre la France et la Suisse par sa seule présence -ils ne veulent vraiment pas d’un nouveau Bonaparte-, se barre en Angleterre, tente de refaire le coup de l’entrée triomphale, se refait arrêter comme une merde, et la quand même, ça suffit comme ça, on le condamne à perpète.

 

La perpète en mode Balkany, hein, rassurez-vous. Il a un appart, passe ses journées à écrire des pamphlets pro-lui et à recevoir des lèche-bottes, il va même se débrouiller pour faire un gosse. Ça va durer six ans. Et puis, vous allez pouvoir remettre la musique…

 

*Allez voir quelle chouette personne elle devient dans sa page wiki, écrite par un royaliste, vous comprendrez mieux pourquoi je vous parle autant de l’encyclopédie en ligne. C’est un enjeu de pouvoir gravement sous-estimé. Si vous êtes érudit·e en quelque matière -ou souhaitez le devenir-, n’hésitez pas à rentrer dans cette bagarre, on a besoin de bras.

 

Junior fait une Carlos Ghosn

 

L’épisode est connu, je vous le mets quand même, c’est trop marrant. Le mec se barre tranquillement de sa prison en échangeant sa place et ses fringues avec le peintre qui faisait son portrait. Tu parles s’il était bien gardé, tiens. Le temps qu’on découvre sa fuite, il est retourné à Londres. Nous sommes en 1846.

 

Il va tomber sur une michetonneuse de talent, miss Harriet Howard, qui a déjà réussi à faire fortune sur le dos d’un mec mort ; telle une Carla Bruni en autogestion, c’est elle qui financera la carrière politique de son Sarko. Parce que oui, on y arrive presque, à notre République bis de la dernière fois. La défaite du clan des perruques va lui offrir une occasion inespérée (ça commence à se voir, nan, qu’il a plus de moule que le bassin d’Arcachon ?) : il va pouvoir revenir en France se faire élire député, pour commencer. Laissez tomber Benny Hill, dans le prochain chapitre on fredonnera -assez logiquement- la marche impériale.

 

Mais pas que.

 

Palpatine lui a pas peu pompé

 

Ça s'bute pour un centime d'vant des bourges insensibles, du meurtre aux embrouilles infantiles
Ça s'vide quand vient l'été, ça pète les 'teilles et les bouches d'incendie

Grosse secousse si t'es nerveux tu vas connaître le binz
Un caillou f’ra l'affaire, pas besoin d’Castafiore pour qu’les fenêtres se brisent

(Hugo TSR)

 

Je me sens un peu con, avec mes effets de style du dernier article. C’est bien gentil de s’amuser, mais du coup je vous en ai à peine parlé, de la révolution de 48.

Faut se mettre un peu dans l’ambiance. On est pas la pour faire du manuel scolaire. Pendant que Junior et ses semblables jouaient leur partie de Monopoly, nous on était dans la rue à risquer nos peaux. En face les fafs, sans filtre, sous leur vraie nature : payés par les autres salopards pour porter les armes contre nous. Faut croire qu’ils se trompaient de colère.

 

Et au milieu de ça, Junior, pognon de sa pygmalionne en poche, qui revient tranquillement nous expliquer ce qui est bon pour la stabilité du pays après avoir tenté deux coups d’état. Son élection à l’assemblée va créer une émeute. Chez nous, hein, pas tellement chez les bourges, qui ne voient plus le problème parce que ça fait chier les perruques qui restent, notamment, car il y en a, les quelques types décents (comme Lamartine, qui fera des pieds et des mains pour qu’on dégage Junior).

 

Et la, accrochez-vous. Je vous disais qu’il avait du bol, mais on a encore rien vu. Traité à l’assemblée comme s’il était Pap Ndiaye en personne, insulté sur son passage, conspué à chaque prise de parole, il finit par renoncer à son mandat, caramba, encore raté. Une semaine avant les émeutes de juin.

 

Rappelez-vous, on en a parlé l’autre jour. La crise économique de 47 a laissé plein de travailleurs sur le carreau, on a donc créé les Ateliers nationaux pour leur filer des jobs à trois sous*. Puis on les a fermés parce que eh, oh, quand même, pourquoi pas des minima sociaux pendant qu’on y est. Ça a un peu déplu, surtout quand les manifs contre cette mesure ont fait cinq mille morts. Plus personne ne fera confiance à la République bis après un coup pareil. Et devinez qui va pouvoir dire « ah, mais moi j’ai rien à voir avec ça, je m’est fait virer » ?

 

C’est l’autoroute pour lui. Blindé aux as, soutenu par des crapules au nez creux comme Adolphe Thiers, ses principaux adversaires Hollandisés dans l’opinion, il va survoler la campagne présidentielle face au modéré Cavaignac et à des socialistes aux noms de stations de métro. Il est élu dans un fauteuil, à quarante ans et sur un malentendu. Oui je sais, ça vous rappelle quelqu’un.

 

* une vieille pratique en cas de chômage de masse. On occupe les gens avec des boulots-prétextes payés un sandwich SNCF par jour parce que pendant qu’ils font ça, ils sortent pas les fourches. Si vous avez déjà traversé des coins en Irlande ou y a rien à part des murs partout dont on se demande à quoi ils servent, ben, ils servaient à ça.


 

Et donc, t’as déjà fait cinq pages, et faut encore se fader tout le second Empire ?

 

Nan mais on s’en fout, de ça. Je vous fais une série sur les Républiques, et sur comment elles crèvent sous le poids de leurs renoncements. A cet égard, le job est fait pour aujourd’hui. Vous vous doutez de la suite : Junior, la constitution ça l’emmerde, il a des comptes à régler avec à peu près tout le monde, et puis un coup d’état c’est tout de suite plus facile à faire quand t’es le chef des armées ; allez bim, vive l’Empereur et on n’en parle plus. Plus autocrate qu’un bataillon de chats et sans aucun pote parmi les politiciens de carrière en-dehors de quelques courtisans nuls, il va principalement s’appuyer sur l’armée et la bourgeoisie d’affaires pour gouverner le pays, tout en se réclamant de la légitimité du peuple en sortant de son chapeau une consultation pipée de temps à autres.

Et c’est pour cette raison qu’à l’Usine nouvelle, on l’aime beaucoup. Il est parfois saisissant, le parallèle avec Manu, hein ?

 

Vous entendrez souvent une description du bonhomme très différente. Faut pas exagérer, il a quand même réformé le pays, garanti pas mal de libertés publiques, tout ça. Alors oui, il l’a un peu fait. Ce qu’on vous précisera pas, c’est qu’il l’a fait à la fin, et, c’est le cas de le dire, pas de gaîté de cœur.


 

L’Empire contré par une attaque

 

Une attaque cardiaque, alors qu’il visitait une maîtresse, il a failli nous faire une Félix Faure. Junior a toujours eu une santé fragile, tant mieux pour nous. Plus tellement en état de gouverner après ça, il lâchera du lest aux réformistes ; c’est ça qu’on appelle « l’empire libéral », dans les dernières années de son règne. Voilà, maintenant vous savez quoi répondre aux droitistoriens du dimanche qui tentent de défendre ce type. Terminons sur le fait qu’un Empire, les gens, c’est… ben, c'est un Empire, quoi.


Junior a triplé nos possessions coloniales. On va passer de trois îles et deux comptoirs qui se courent après à l’une des grandes invasions du siècle. Le Vietnam, le Cambodge, le Gabon, la Guinée, le sud de l’Algérie sont annexés. Un million de kilomètres carrés en tout, ou je vous laisse imaginer l’ambiance d’après ce qu’on a vu du comportement de l’armée dans les rues de Paris. Et je ne parle ici que de ce qui n'a pas foiré ; si vous voulez vous remettre un coup de Benny Hill, renseignez-vous notamment sur les tentatives de Junior au Mexique (d'où la France soutiendra le Sud confédéré pendant la guerre de sécession, visionnaire le gars).

Le plus beau, c’est que ça n’était même pas rentable économiquement ; c’est la République Ter qui va rationaliser un peu tout ça..

 

Euthanasions Junior, ça nous fera du bien. Vous le savez, il est viré du pouvoir après la catastrophique guerre de 1870, on y reviendra (bientôt la Commune, j’ai hâte). Enfermé en Prusse, il est bientôt libéré et retourne en Angleterre, d’où il préparera de nouveaux pamphlets pro-lui et de nouveaux plans pour retourner au pouvoir, bordel mais arrête mec, c’est fini maintenant. Sans doute fatiguée de son propriétaire, c’est sa vessie qui décidera de le tuer d’un calcul bien placé, ouf. En France, on ne pense déjà plus guère à lui, sa dépouille ne sera même pas réclamée ; on a un nouvel adversaire en tête, malin celui-là, qui sera le pivot du prochain article : Adolphe Thiers.


 

Ce qui aurait pu être

 

On a eu chaud, avec Junior. Si son arrivée au pouvoir est un coup de malchance phénoménal, les conséquences auraient pu être bien pires. Le gars n’avait qu’une idée en tête, remettre l’Europe à feu et à sang ; il ne lui aurait pas fallu grand-chose, c’était en projet, pour aller venger Waterloo et nous faire péter la gueule par les armées anglaises -vous noterez au passage que c’est pas la reconnaissance qui l’étouffe. Nous on peut en avoir beaucoup, en revanche, envers les résistant·es parmi nos ancêtres qui furent autant de cailloux dans sa botte. 


Malgré tout il arrivera, toutes proportions gardées, au même résultat que tonton : la France est vaincue, humiliée, détestée à l’international, et dans une situation économique désastreuse. Pour ne citer que ça, la perte de l’Alsace-Moselle n’a pas fini d’avoir des conséquences fasc… euh, fâcheuses.

 

Mais on en reparlera une prochaine fois. Sans doute pas si prochaine, la suite de l’histoire est mieux connue, si je veux me la péter devant vous il va falloir que je bosse.

 

Libertairement vôtre. Sachez voir venir les tyrans.  

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